Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/150

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insolemment de mon frère. Les choses qu’ils lui faisoient dire étoient vraisemblables : mon frère les crut et voulut que je le chassasse ; mais comme je savois qui lui avoit prêté cette charité, je ne les crus pas, et m’obstinai à le garder. Ma résolution ayant jeté Nanon et Narcisse dans le désespoir, ils ne trouvèrent point de meilleur expédient pour me forcer à ce qu’ils vouloient, que de faire courre le bruit qu’il m’aimoit. Mon frère, qui vouloit ignorer les obligations que j’avois à cet homme, et la parole que je lui avois donnée, parce qu’il croyoit en avoir été offensé, et qui étoit accoutumé à la complaisance aveugle que j’avois toujours eue pour lui, craignit qu’il n’y eût quelque chose d’extraordinaire dans mon obstination. Mais il n’en douta plus, lorsque, m’ayant représenté avec beaucoup de hauteur le bruit qui couroit, il vit que je ne m’y rendois pas. Une calomnie si ridicule m’irrita au lieu de m’ébranler, et je fus si touchée de voir qu’il y ajoutoit foi, que je ne pouvois plus le souffrir. M. le Connétable et ma sœur furent d’abord pour moi contre lui ; mais ils changèrent dans la suite. Ce ne fut bientôt qu’éclaircissements continuels entre nous quatre, dans lesquels j’avois toujours le tort, et les autres se justifioient à mes dépens ; et cette étrange vie, pleine d’aigreur et de ressentiment, contre un frère et une sœur que j’aimois si fort, et de qui j’avois cru que la compagnie suffisoit toute seule pour me rendre heureuse, me fit à la fin comprendre, mais trop tard, qu’il ne faut jamais rien souhaiter.

Nous allâmes à Venise parmi ces brouilleries, où M. le Connétable, qui ne s’y plaisoit pas peut-