Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une victoire remportée sur une grande résolution de la jeune fille. À l’exemple de Marion de Lorme, elle avoit repoussé plusieurs propositions de mariage. C’étoit en l’an 1643, la date est attestée par Scarron, un ami de la famille. Mme de Lenclos venoit de mourir dans les bras de sa fille éperdue, âgée alors non pas de quinze ans, comme on l’a dit et répété, mais de vingt-trois ans. Cette séparation suprême et prématurée émut si vivement la bonne nature de Ninon, qu’elle courut porter dans un couvent son désespoir et ses regrets, après la perte d’une mère vénérée et chérie, quoique vivant dans des pratiques fort différentes de celles de sa fille. Il paroît bien assuré que Saint-Évremond est accouru pour arracher Ninon de cette retraite, et qu’il l’a détournée d’une vocation si peu solide. Le langage et la persuasion de l’amitié l’emportèrent sur le mouvement irréfléchi de la douleur. De cette époque seulement commence la vie indépendante et aventureuse de Ninon : si elle est marquée par des entraînements, elle est dominée par une fermeté philosophique, qui n’a eu qu’une légère intermittence. Se livrant à la méditation des choses de la vie, elle reconnut, dit-elle, que dans le partage des destinées, la société avoit chargé les femmes des attributions les plus frivoles, et que les hommes s’étoient réservé le droit aux avantages les plus solides. De ce moment, ajoute-t-elle, je me fis homme. La lecture fortifia ces conclusions de son esprit.

Malgré son affection pour le duc de Châtillon, l’ami de cœur du vainqueur de Rocroi, affection qui lui fit conseiller au duc un changement de religion favorable à sa fortune : Ninon, confirmée par