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Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/159

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L’empoisonnement de Britannicus ne fait pas autant d’horreur qu’il devroit faire, par l’attachement que donne Tacite à observer la contenance des spectateurs. Tandis qu’un lecteur s’occupe à considérer leurs divers mouvements, l’imprudence effrayée des uns, les profondes réflexions des autres, la froideur dissimulée de Néron, les craintes secrètes d’Agrippine ; l’esprit, détourné de la noirceur de l’action, et de la funeste image de cette mort, laisse échapper le parricide à sa haine, et le pauvre mourant à sa pitié.

La cruauté du même Néron dans la mort de sa mère, a une conduite trop délicate. Quand Agrippine auroit péri véritablement par une petite intrigue de cour si bien menée, il eût fallu supprimer la moitié de l’art ; car le crime trouve moins d’aversion dans les esprits, et si je l’ose dire, il se concilie le jugement des lecteurs, lorsqu’on met tant d’adresse et de dextérité à le conduire.

Presque en toutes choses, Tacite fait des tableaux trop finis, où il ne laisse rien à désirer de l’art, mais où il donne trop peu au naturel. Rien n’est plus beau que ce qu’il représente. Souvent, ce n’est pas la chose qui doit être représentée ; quelquefois il passe au delà des affaires, par trop de pénétration et de profondeur ; quelquefois des spéculations trop fines