Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/232

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haute fortune. Quand Son Éminence eut rétabli son pouvoir, qu’elle régnoit plutôt qu’elle ne gouvernoit, il garda plus de dignité avec elle, qu’il n’en avoit gardé dans ses malheurs. Ce fut le premier qui osa faire sa cour au roi, toutes les personnes considérables ayant leur application entière à Monsieur le cardinal. Il ne sollicita point de grâces, et les avantages qu’il obtint parurent des effets du service rendu à l’État, sans attachement au ministère.

Jamais les vertus des particuliers n’ont été si bien unies avec les qualités des héros, qu’en la personne de M. de Turenne : il étoit facile dans le commerce, délicat dans la conversation, fidèle dans l’amitié. On l’a accusé de ne s’employer pas assez fortement pour ses amis à la cour ; mais il ne s’y employoït pas davantage pour lui-même : une gloire secrète l’empêchant de demander ce qu’il n’étoit pas sûr d’obtenir, il faisoit tout le plaisir qu’il pouvoit faire par lui-même. Les amis, d’ordinaire, pensent qu’on a plus de crédit qu’on n’en a, et qu’on leur doit plus qu’on ne leur doit.

Monsieur de Turenne n’étoit pas incapable d’avoir de l’amour ; sa vertu n’étoit point de ces vertus sèches et dures, qu’aucun sentiment de tendresse n’adoucit : il aimoit plus qu’il ne croyoit, se cachant, autant qu’il lui étoit possible, une passion qu’il laissoit connoître aux autres.