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Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/298

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mort il adoptât l’auteur de cette pièce, pour former, avec la tendresse d’un père, son vrai successeur. Je voudrois qu’il lui donnât le bon goût de cette antiquité qu’il possède si avantageusement ; qu’il le fît entrer dans le génie de ces nations mortes, et connoître sainement le caractère des héros qui ne sont plus. C’est, à mon avis, la seule chose qui manque à un si bel esprit. Il a des pensées fortes et hardies, des expressions qui égalent la force de ses pensées ; mais vous me permettrez de vous dire, après cela, qu’il n’a pas connu Alexandre ni Porus. Il paroît qu’il a voulu donner une plus grande idée de Porus que d’Alexandre, en quoi il n’étoit pas possible de réussir ; car l’histoire d’Alexandre, toute vraie qu’elle est, a bien de l’air d’un roman : et faire un plus grand héros, c’est donner dans le fabuleux ; c’est ôter à son ouvrage, non-seulement le crédit de la vérité, mais l’agrément de la vraisemblance. N’imaginons donc rien de plus grand que ce maître de l’univers ; ou nos imaginations seront trop vastes et trop élevées. Si nous voulons donner avantage sur lui à d’autres héros, ôtons-leur les vices qu’il avoit, et donnons-leur les vertus qu’il n’avoit pas : ne faisons pas Scipion plus grand, quoiqu’on n’ait jamais vu chez les Romains une âme si élevée que la sienne ; il le faut faire plus juste,