Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inquiétude, qui subsiste dans la suspension des esprits ; c’est un cher intérêt que prend notre âme aux sujets qui attirent son attention.

On peut dire à peu près la même chose de la pitié, à notre égard. Nous la dépouillons de toute sa foiblesse, et nous lui laissons tout ce qu’elle peut avoir de charitable et d’humain. J’aime à voir plaindre l’infortune d’un grand homme malheureux ; j’aime qu’il s’attire de la compassion, et qu’il se rende quelquefois maître de nos larmes ; mais je veux que ces larmes tendres et généreuses regardent ensemble ses malheurs et ses vertus ; et qu’avec le triste sentiment de la pitié, nous ayons celui d’une admiration animée, qui fasse naître en notre âme comme un amoureux désir de l’imiter.

Il nous restoit à mêler un peu d’amour, dans la nouvelle tragédie, pour nous ôter mieux ces noires idées que nous laissoit l’ancienne, par la superstition et par la terreur. Et dans la vérité, il n’y a point de passion qui nous excite plus à quelque chose de noble et de généreux qu’un honnête amour. Tel peut s’abandonner lâchement à l’insulte d’un ennemi peu redoutable, qui défendra ce qu’il aime jusqu’à la mort, contre les attaques du plus vaillant. Les animaux les plus foibles et les plus timides, les animaux que la nature a formés pour toujours craindre et toujours fuir, vont fièrement au de-