Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/335

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ce chef-d’œuvre des anciens, j’ose assurer que rien au monde ne nous paroîtroit plus barbare, plus funeste, plus opposé aux vrais sentiments qu’on doit avoir.

Notre siècle a du moins cet avantage, qu’il y est permis de haïr librement les vices, et d’avoir de l’amour pour les vertus. Comme les dieux causoient les plus grands crimes, sur le théâtre des anciens, les crimes captivoient le respect des spectateurs, et on n’osoit pas trouver mauvais ce qui étoit abominable. Quand Agamemnon sacrifia sa propre fille, et une fille tendrement aimée, pour appaiser la colère des dieux, ce sacrifice barbare fut regardé comme une pieuse obéissance, comme le dernier effet d’une religieuse soumission.

Que si l’on conservoit, en ce temps-là, les vrais sentiments de l’humanité, il falloit murmurer contre la cruauté des dieux, en impie ; et si l’on vouloit être dévot envers les dieux, il falloit être cruel et barbare envers les hommes : il falloit faire, comme Agamemnon, la dernière violence à la nature et à son amour :

Tantum Relligio potuit suadere malorum,

dit Lucrèce, sur ce sacrifice barbare.

Aujourd’hui nous voyons représenter les hommes sur le théâtre, sans l’intervention des dieux, plus utilement cent fois pour le public