Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/371

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tume établie par un sentiment peut-être assez inhumain ; mais une vieille habitude, ou le goût de la nation en général, l’emporte sur la délicatesse des particuliers. Mourir est si peu de chose aux Anglois, qu’il faudroit, pour les toucher, des images plus funestes que la mort même. De là vient que nous leur reprochons assez justement de donner trop à leurs sens, sur le théâtre. Il nous faut souffrir aussi le reproche qu’ils nous font de passer dans l’autre extrémité, quand nous admirons chez nous des tragédies par de petites douceurs qui ne font pas une impression assez forte sur les esprits. Tantôt peu satisfaits, dans nos cœurs, d’une tendresse mal formée, nous cherchons dans l’action des comédiens à nous émouvoir encore ; tantôt nous voulons que l’acteur, plus transporté que le poëte, prête de la fureur et du désespoir à une agitation médiocre, à une douleur trop commune. En effet, ce qui doit être tendre n’est souvent que doux ; ce qui doit former la pitié fait à peine la tendresse : l’émotion tient lieu du saisissement, l’étonnement de l’horreur. Il manque à nos sentiments quelque chose d’assez profond ; les passions à demi touchées n’excitent en nos âmes que des mouvements imparfaits, qui ne savent ni les laisser dans leur assiette, ni les enlever hors d’elles-mêmes.