Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/463

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incertaine qu’il peut avoir, il n’y a caprice, ingratitude, infidélité, qu’on n’en doive craindre.

On nomme l’Amour aveugle, fort mal à propos, n’en déplaise aux rêveries des poëtes et aux fantaisies des peintres. L’Amour n’est autre chose qu’une passion dont le cœur fait d’ordinaire un méchant usage. Le cœur est un aveugle, à qui sont dues toutes nos erreurs : c’est lui qui préfère un sot à un honnête homme ; qui fait aimer de vilains objets, et en dédaigner de fort aimables ; qui se donne aux plus laids, aux plus difformes, et se refuse aux plus beaux et aux mieux faits.

C’est lui qui pour un nain a fait courir le monde
                    À l’ami de Joconde7.

C’est lui qui déconcerte les plus régulières ; qui enlève les prudes à la vertu, et dispute les saintes à la grâce. Aussi peu soumis à la règle dans le couvent, qu’au devoir dans les familles ; infidèle aux époux ; moins sûr aux amants ; troublé le premier, il met le désordre et le dérèglement dans les autres : il agit sans conseil et connoissance. Révolté contre la raison qui le doit conduire, et mû secrètement par des ressorts cachés qu’il ne comprend pas, il donne


7. Voy. dans les Contes de la Fontaine la nouvelle intitulée Joconde.