Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/80

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concertée, qui le faisoit redouter des uns, tandis que sa vertu le faisoit révérer des autres. À la vérité, il ne se faisoit pas grande violence ; mais étant naturellement un peu cruel, il se trouvoit dans une condition où il lui étoit nécessaire de l’être. Cependant ses intérêts régloient quelquefois sa cruauté, et lui donnoient même de la clémence ; car il savoit être doux et clément pour le bien de ses affaires, et le dessein l’emportoit toujours sur le naturel.

Il faisoit la guerre aux Romains, avec toute sorte de rigueur, et traitoit leurs alliés avec beaucoup de douceur et de courtoisie : cherchant à ruiner ceux-là tout à fait, et à détacher ceux-ci de leur alliance. Procédé bien différent de celui de Pyrrhus, qui gardoit toutes ses civilités pour les Romains, et les mauvais traitements pour ses alliés.

Quand je songe qu’Annibal est parti d’Espagne, où il n’avoit rien de fort assuré ; qu’il a traversé les Gaules, qu’on devoit compter pour ennemies ; qu’il a passé les Alpes pour faire la guerre aux Romains, qui venoient de chasser les Carthaginois de la Sicile ; quand je songe qu’il n’avoit en Italie ni place, ni magasins, ni secours assurés, ni la moindre espérance de retraite, je me trouve étonné de la hardiesse de son dessein. Mais lorsque je considère sa valeur et sa conduite, je n’admire plus qu’An-