Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/92

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les ennemis, moins il recevoit de services des siens, plus il prenoit sur lui-même ; et il n’est pas croyable avec quelle vertu il se maintint en Italie, d’où les Romains ne l’ont fait sortir, qu’en obligeant les Carthaginois à l’en retirer. Ceux-ci, défaits et chassés d’Espagne, battus et ruinés en Afrique, eurent recours à leur Annibal, pour leur dernière ressource. Il obéit aux ordres de son pays, avec la même soumission qu’auroit pu faire le moindre citoyen, et il n’y fut pas sitôt arrivé, qu’il en trouva les affaires désespérées.

Scipion, qui avoit vu les calamités de sa république, sous des chefs malheureux, en commandoit alors les armées, dans les prospérités qu’il avoit fait naître. Pour Annibal, il n’avoit que le souvenir de sa bonne fortune, dont il avoit mal usé ; mais il ne manquoit en rien pour soutenir la mauvaise. Le premier, confiant de son naturel, et par le bonheur présent de ses affaires, étoit à la tête d’une armée qui ne doutoit pas de la victoire. Le second augmentoit une défiance naturelle, par le méchant état où il voyoit sa patrie, et par la mauvaise opinion qu’il avoit de ses soldats.

Ces différentes situations d’esprit firent offrir la paix, et la rejeter, après quoi on ne songea plus qu’à la bataille. Le jour qu’elle fut donnée, Annibal se surpassa lui-même, soit