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des idées

pas toujours d’une nécessité absolue, car il faut avouer qu’il y a de la différence dans la manière de déterminer entre les conséquences qui ont lieu en matière nécessaire et celles qui ont lieu en matière contingente. Les conséquences géométriques et métaphysiques nécessitent, mais les conséquences physiques et morales inclinent sans nécessiter ; le physique même ayant quelque chose de moral et de volontaire par rapport à Dieu, puisque les lois du mouvement n’ont point d’autre nécessité, que celle du meilleur. Or Dieu choisit librement quoiqu’il soit déterminé à choisir le mieux ; et comme les corps mêmes ne choisissent point (Dieu ayant choisi pour eux), l’usage a voulu qu’on les appelle des agents nécessaires, à quoi je ne m’oppose pas pourvu qu’on ne confonde point le nécessaire et le déterminé, et que l’on n’aille pas s’imaginer que les êtres libres agissent d’une manière indéterminée, erreur qui a prévalu dans certains esprits et qui détruit les plus importantes vérités, même cet axiome fondamental : que rien n’arrive sans raison, sans lequel ni l’existence de Dieu ni d’autres vérités ne sauraient être bien démontrées. Quant à la contrainte, il est bon d’en distinguer deux espèces. L’une physique, comme lorsqu’on porte un homme malgré lui en prison, ou qu’on le jette dans un précipice ; l’autre morale, comme par exemple la contrainte d’un plus grand mal, car l’action, quoique forcée en quelque façon, ne laisse pas d’être volontaire. On peut être forcé aussi par la considération d’un plus grand bien, comme lorsqu’on tente un homme en lui proposant un trop grand avantage, quoiqu’on n’ait pas coutume d’appeler cela contrainte.

§ 14. Ph. Voyons maintenant si l’on ne pourrait point terminer la question agitée depuis longtemps, mais qui est à mon avis fort déraisonnable, puisqu’elle est inintelligible : Si la volonté de l’homme est libre ou non.

Th. On a grande raison, de se récrier sur la manière étrange des hommes, qui se tourmentent en agitant des questions mal conçues. Ils cherchent ce qu’ils savent, et ne savent pas ce qu’ils cherchent.

Ph. La liberté, qui n’est qu’une puissance, appartient uniquement à des agents et ne saurait être un attribut ou une modification de la volonté, qui n’est elle-même rien autre chose qu’une puissance.

Th. Vous avez raison, Monsieur, suivant la propriété des mots. Cependant on peut excuser en quelque façon l’usage reçu. C’est ainsi qu’on a coutume d’attribuer la puissance à la chaleur ou à d’autres qualités, c’est-à-dire au corps, en tant qu’il a cette qualité :