Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

domination des Romains, et cette même raison fait que l’italien n’a pas tant changé que le français, parce que les Italiens ayant eu plutôt des écrivains d’une réputation durable, ont imité et estiment encore Dante, Pétrarque, Boccace et autres auteurs d’un temps d’où ceux des Français ne sont plus de mise.

Chap. X. — De l’abus des mots.

§ 1. Ph. Outre les imperfections naturelles du langage, il y en a de volontaires et qui viennent de négligence, et c’est abuser des mots que de s’en servir si mal. Le premier et le plus visible abus, est § 2, qu’on n’y attache point d’idée claire. Quant à ces mots, il y en a de deux classes ; les uns n’ont jamais eu d’idée déterminée, ni dans leur origine, ni dans leur usage ordinaire. La plupart des sectes de philosophie et de religion en ont introduit pour soutenir quelque opinion étrange, ou cacher quelque endroit faible de leur système. Cependant ce sont des caractères distinctifs dans la bouche des gens de parti, § 3. Il y a d’autres mots qui dans leur usage premier et commun ont quelque idée claire, mais qu’on a appropriés depuis à des matières fort importantes sans leur attacher aucune idée certaine. C’est ainsi que les mots de sagesse, de gloire, de grâce, sont souvent dans la bouche des hommes.

Th. Je crois qu’il n’y a pas tant de mots insignifiants qu’on pense, et qu’avec un peu de soin et de bonne volonté on pourrait y remplir le vide, ou fixer l’indétermination. La sagesse ne paraît être autre chose que la science de la félicité. La grâce est un bien qu’on fait à ceux qui ne l’ont point mérité, et qui se trouvent dans un état où ils en ont besoin. Et la gloire est la renommée de l’excellence de quelqu’un.

§ 4. Ph. Je ne veux point examiner maintenant s’il y a quelque chose à dire à ces définitions, pour remarquer plutôt les causes des abus des mots. Premièrement, on apprend les mots avant d’apprendre les idées qui leur appartiennent, et les enfants accoutumés à cela dès le berceau en usent de même pendant toute leur vie ; d’autant plus qu’ils ne laissent pas de se faire entendre dans la conversation, sans avoir jamais fixé leur idée, en se servant de différentes expressions pour faire concevoir aux autres ce qu’ils veulent