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nouveaux essais sur l’entendement

Pour répondre encore à ce que vous dites contre l’approbation générale qu’on donne aux deux grands principes spéculatifs, qui sont pourtant des mieux établis, je puis vous dire que, quand même ils ne seraient pas connus, ils ne laisseraient pas d’être innés, parce qu’on les reconnaît dès qu’on les a entendus. Mais j’ajouterai encore que, dans le fond, tout le monde les connaît, et qu’on se sert à tout moment du principe de contradiction (par exemple) sans le regarder distinctement. Il n’y a point de barbare qui, dans une affaire qu’il trouve sérieuse, ne soit choqué de la conduite d’un menteur qui se contredit. Ainsi on emploie ces maximes sans les envisager expressément. Et c’est à peu près comme on a virtuellement dans l’esprit les propositions supprimées dans les enthymèmes, qu’on laisse à l’écart, non seulement au dehors, mais encore dans notre pensée.

§ 5 Ph. Ce que vous dites de ces connaissances virtuelles et de ces suppressions intérieures me surprend, car de dire qu’il y a des vérités imprimées dans l’âme qu’elle n’aperçoit point, c’est, ce me semble, une véritable contradiction.

Th. Si vous êtes dans ce préjugé, je ne m’étonne pas que vous rejetiez les connaissances innées. Mais je suis étonné comment il ne vous est pas venu dans la pensée que nous avons une infinité de connaissances, dont nous ne nous apercevons pas toujours, pas même lorsque nous en avons besoin ; c’est à la mémoire de les garder et in la réminiscence de nous les représenter, comme elle fait souvent au besoin, mais non pas toujours. Cela s’appelle fort bien souvenir (subvenire), car la réminiscence demande quelque aide. Et il faut bien que dans cette multitude de nos connaissances nous soyons déterminés par quelque chose à renouveler l’une plutôt que l’autre, puisqu’il est impossible de penser distinctement tout à la fois à tout ce que nous savons.

Ph. En cela, je crois que vous avez raison : et cette affirmation trop générale que nous nous apercevons toujours de toutes les vérités qui sont dans notre âme, m’est échappée sans que j’y aie donné assez d’attention. Mais vous aurez un peu plus de peine à répondre à ce que je m’en vais vous représenter. C’est que, si on peut dire de quelque proposition en particulier qu’elle est innée, on pourra soutenir par la même raison que toutes les propositions, qui sont raisonnables et que l’esprit pourra toujours regarder comme telles, sont déjà imprimées dans l’âme.

Th. Je vous l’accorde à l’égard des idées pures, que j’oppose aux