41. Que si l’on nie que l’espace borné soit une affection des choses bornées, il ne sera pas raisonnable non plus que l’espace infini soit l’affection ou la propriété d’une chose infinie. J’avais insinué toutes ces difficultés dans mon écrit précédent ; mais il ne paraît point qu’on ait taché d’y satisfaire.
42. J’ai encore d’autres raisons contre l’étrange imagination que l’espace est une propriété de Dieu. Si cela est, l’espace entre dans l’essence de Dieu. Or, l’espace a des parties ; donc il y aurait des parties dans l’essence de Dieu, spectatum admissi.
43. De plus, les espaces sont tantôt vides, tantôt remplis ; donc il y aura dans l’essence de Dieu des parties tantôt vides, tantôt remplies, et par conséquent sujettes à un changement perpétuel. Les corps, remplissant l’espace, rempliraient une partie de l’essence de Dieu, et y seraient commensurés ; et dans la supposition du vide, une partie de l’essence de Dieu sera dans le récipient. Ce Dieu à parties ressemblera fort au dieu stoïcien, qui était l’univers tout entier, considère comme un animal divin.
44. Si l’espace infini est l’immensité de Dieu, le temps infini sera l’éternité de Dieu : il faudra donc dire que ce qui est dans l’espace est dans l’immensité de Dieu, et par conséquent dans son essence ; et que ce qui est dans le temps est dans l’éternité de Dieu. Phrases étranges, et qui font bien connaître qu’on abuse des termes.
45. En voici encore une autre instance. L’immensité de Dieu fait que Dieu est dans tous les espaces. Mais si Dieu est dans l’espace, comment peut-on dire que l’espace est en Dieu, ou qu’il est sa propriété ? On a bien ouï dire que la propriété soit dans le sujet ; mais on n’a jamais ouï dire que le sujet soit dans sa propriété. De même, Dieu existe en chaque temps : comment donc le temps est-il dans Dieu ; et comment peut-il être une propriété de Dieu ? Ce sont des alloglossies perpétuelles.
46. Il paraît qu’on confond l’immensité ou l’étendue des choses avec l’espace selon lequel cette étendue est prise. L’espace infini n’est pas l’immensité de Dieu ; l’espace fini n’est pas l’étendue des corps, comme le temps n’est point la durée. Les choses gardent leur étendue, mais elles ne gardent point toujours leur espace. Chaque chose a sa propre étendue, sa propre durée ; mais elle n’a point son propre temps, et elle ne garde point son propre espace.
47. Voici comment les hommes viennent à se former la notion de l’espace. Ils considèrent que plusieurs choses existent à la fois, et