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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/805

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viennent seulement. Car deux sujets différents, comme A et B, ne sauraient avoir précisément la même affection individuelle ; un même accident individuel ne se pouvant point trouver en deux sujets, ni passer de sujet en sujet. Mais l’esprit non content de la convenance cherche une identité, une chose qui soit véritablement la même, et la conçoit comme hors de ces sujets ; et c’est ce qu’on appelle ici place et espace. Cependant cela ne saurait être qu’idéal, contenant un certain ordre où l’esprit conçoit l’application des rapports : comme l’esprit se peut figurer un ordre consistant en lignes généalogiques, dont les grandeurs ne consisteraient que dans le nombre des générations, où chaque personne aurait sa place. Et si l’on ajoutait la fiction de la métempsycose, et si l’on faisait revenir les mêmes âmes humaines, les personnes y pourraient changer de place. Celui qui a été père ou grand-père pourrait devenir fils ou petit-fils, etc. Et cependant ces places, lignes et espaces généalogiques, quoiqu’elles exprimeraient des vérités réelles, ne seraient que choses idéales. Je donnerai encore un exemple de l’usage de l’esprit de se former, à l’occasion des accidents qui sont dans les sujets, quelque chose qui leur réponde hors des sujets. La raison ou proportion entre deux lignes, L et M, petit être conçue de trois façons : comme raison du plus grand L, au moindre M ; comme raison du moindre M, au plus grand L ; et enfin comme quelque chose d’abstrait des deux, c’est-à-dire comme la raison entre L et M, sans considérer lequel est l’antérieur ou le postérieur, le sujet ou l’objet. Et c’est ainsi que les proportions sont considérées dans la musique. Dans la première considération, L le plus grand est le sujet ; dans la seconde, M le moindre est le sujet de cet accident, que les philosophes appellent relation ou rapport. Mais quel en sera le sujet dans le troisième sens ? On ne saurait dire que tous les deux, L et M ensemble, soient le sujet d’un tel accident ; car ainsi nous aurions un accident en deux sujets, qui aurait une jambe dans l’un et l’autre dans l’autre ; ce qui est contre la notion des accidents. Donc il faut dire que ce rapport, dans ce troisième sens, est bien hors des sujets ; mais que, n’étant ni substance ni accident, cela doit être une chose purement idéale, dont la considération ne laisse pas d’être utile. Au reste, j’ai fait ici à peu près comme Euclide, qui, ne pouvant pas bien faire entendre absolument ce que c’est que raison prise dans le sens des géomètres, définit bien ce que c’est que mêmes raisons. Et c’est ainsi que, pour expliquer ce que c’est