Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/21

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voir la possibilité par le moyen de la préformation. Après quoi on n’aura pas sujet de trouver étrange que Dieu ait fait le corps en sorte qu’en vertu de ses propres lois il puisse exécuter les desseins de l’âme raisonnable, puisque tout ce que l’âme raisonnable peut commander au corps est moins difficile que l’organisation que Dieu a commandée aux semences. M. Bayle dit (Réponse aux questions d’un provincial, chap. 182, p. 1294) que ce n’est que depuis peu de temps qu’il y a eu des personnes qui ont compris que la formation des corps vivants ne saurait être un ouvrage naturel ; ce qu’il pourrait dire aussi, suivant ses principes, de la correspondance de l’âme et du corps, puisque Dieu en fait tout le commerce dans le système des causes occasionnelles adopté par cet auteur. Mais je n’admets le surnaturel ici que dans le commencement des choses, à l’égard de la première formation des animaux, ou à l’égard de la constitution originaire de l’harmonie préétablie entre l’âme et le corps ; après quoi je tiens que la formation des animaux et le rapport entre l’âme et le corps sont quelque chose d’aussi naturel à présent que les autres opérations les plus ordinaires de la nature. C’est à peu près comme on raisonne communément sur l’instinct et sur les opérations mer veilleuses des bêtes. On y reconnaît de la raison, non pas dans les bêtes, mais dans celui qui les a formées. Je suis donc du sentiment commun à cet égard ; mais j’espère que mon explication lui aura donné plus de relief et de clarté, et même plus d’étendue.

Or, devant justifier mon système contre les nouvelles difficultés de M. Bayle, j’avais dessein en même temps de lui communiquer les pensées que j’avais eues depuis longtemps sur les difficultés qu’il avait fait valoir contre ceux qui tâchent d’accorder la raison avec la foi à l’égard de l’existence du mal. En effet, il y a peut-être peu de personnes qui y aient travaillé plus que moi. A peine avais-je appris à entendre passablement les livres latins, que j’eus la commodité de feuilleter dans une bibliothèque : j’y voltigeais de livre en livre ; et comme les matières de méditation me plaisaient autant que les histoires et les fables, je fus charmé de l’ouvrage de Laurent Valla contre Boëce[1], et de celui de Luther contre Érasme, quoique je

  1. Boèce, l’un des derniers grands hommes de l’antiquité, né à Rome en 470. ministre de Théodoric, empoisonné par ce prince et mis à mort en 526. Son ouvrage le plus connu est sa Consolation de la philosophie (Leyde, 1656, in-8°). La plus ancienne édition de ses œuvres est celle de Venise. 1491, in-fol. la meilleure est celle de Ride, 1.870. in-fol. P. J.