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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Ladrange, 1866, tome 2.djvu/558

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comme la dépense ou la matière la plus propre à la construction du monde, tandis que les variétés des formes répondent à la commodité de l’édifice, à la multitude et à l’élégance des habitations. Et il en est à cet égard comme dans certains jeux où l’on doit remplir tous les espaces d’une table d’après des lois déterminées. Si l’on n’y met une certaine habileté, on sera enfin empêché par des espaces défavorables et forcé de laisser beaucoup plus de places vides qu’on ne pouvait ou qu’on ne voulait. Or, il y a un certain moyen très-facile de remplir sur cette table le plus d’espace possible. De même donc que s’il nous faut faire un triangle qui ne soit déterminé par aucune autre donnée, il en résultera qu’il sera équilatéral, et que s’il s’agit d’aller d’un point à un autre sans aucune détermination de la ligne, on choisira le chemin le plus facile et le plus court, de même étant une fois admis que l’être l’emporte sur le non-être, c’est-à-dire qu’il y a une raison pour que quelque chose soit plutôt que rien, ou qu’il faut passer de la possibilité à l’acte, il s’ensuit qu’en l’absence même de toute autre détermination, la quantité d’existence est aussi grande que possible eu égard à la capacité du temps et du lieu (ou à l’ordre possible d’existence), absolument comme les carreaux sont disposés dans une aire donnée de manière qu’elle en contienne le plus grand nombre possible. Par là, on comprend d’une manière merveilleuse comment, dans la formation originaire des choses, peut s’appliquer une sorte d’art divin ou de mécanisme métaphysique, et comment a lieu la détermination de la plus grande quantité d’existence. C’est ainsi que, parmi tous les angles, l’angle déterminé en géométrie est le droit, et que des liquides placés dans des milieux hétérogènes prennent la forme qui a le plus de capacité ou la sphérique ; ou plutôt, c’est ainsi que dans la mécanique ordinaire, lorsque plusieurs corps graves luttent entre eux, le mouvement qui en résulte constitue en résumé la plus grande descente. Car, de même que tous les possibles tendent d’un droit égal à exister en proportion de leur réalité, de même tous les poids tendent d’un droit égal à descendre en proportion de la gravité, et, comme d’un côté il se produit un mouvement qui contient la plus grande descente des graves, de l’autre il se produit un monde où se trouve réalisée la plus grande partie des possibles.

Et c’est ainsi que nous voyons la nécessité physique résulter de la nécessité métaphysique ; car bien que le monde ne soit pas métaphysiquement nécessaire, dans ce sens que son contraire implique une contradiction ou une absurdité logique, il est néanmoins physi-