Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/399

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ainsi qu’on cherche de mauvaises raisons pour corrompre son jugement.

On n’aurait pas voulu faire attention que Lucullus, avec une infanterie peu nombreuse, défit plus de cent cinquante mille cavaliers de Tigrane, parmi lesquels se trouvait un corps de cavalerie semblable en tout aux hommes d’armes de nos jours. Il a fallu que notre erreur nous ait été découverte par l’exemple des armées d’outre-monts.

Et comme ces exemples font voir que je n’ai rien avancé qui ne fût vrai dans tout ce que j’ai dit de l’infanterie, on doit croire, par la même raison, que les autres institutions des anciens sont également avantageuses. Si cette conviction pouvait entrer dans l’esprit des princes et des républiques, ils commettraient moins d’erreurs, ils sauraient mieux résister à une attaque imprévue ; la fuite ne serait plus leur unique espoir ; et ceux qui ont en main le gouvernement d’une nation sauraient mieux en régler la marche, soit en s’efforçant de l’agrandir, soit en se bornant à le conserver ; ils seraient convaincus qu’augmenter la population de ses États, se faire des alliés et non des esclaves, établir des colonies à la garde des pays conquis, s’enrichir des dépouilles des vaincus, subjuguer l’ennemi par des invasions et des batailles, et non par des siéges, accroître sans cesse le trésor public, maintenir la pauvreté parmi les citoyens, et surtout conserver scrupuleusement toutes les institutions militaires, c’est le vrai moyen d’agrandir une république et d’élever un empire. Si ces moyens d’agrandissement répugnaient à leurs idées, ils devraient considérer que toutes les conquêtes acquises par une marche différente ne font qu’entraîner la ruine d’un État ; ils mettraient un frein à toute ambition ; ils établiraient l’ordre dans l’intérieur par les lois et par les mœurs ; ils interdiraient les conquêtes ; ils songeraient seulement à se défendre, et tiendraient toujours en bon ordre les