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ASSEMBLEE NATIONALE - 1ère SEANCE DU 16 JUILLET 1953

Ces mêmes éléments se sont répandus le soir dans Paris pour faire des raids dans les bals populaires. Ils ont fait arrêter trois bals populaires dans le 6e arrondissement et deux bals populaires à la porte d’Aubervilliers.

Or, c’est un miracle, sans doute, mais on a arrêté beaucoup d’Algériens et pas un seul parachutiste !

En terminant, nous voudrions simplement poser deux questions au Gouvernement.

L’opération du 14 juillet est-elle une sorte d’opération Navarre à l’usage intérieur ? Veut-on faire croire aux Américains, par exemple, que la guerre d’Indochine est populaire ?

Deuxième question : voulait-on monter une petite émeute pour influer sur les décisions de la chambre des mises en accusation qui doit décider aujourd’hui même du sort des emprisonnés, en particulier de notre ami Alain Le Léap ?

Nous voudrions des réponses précises à toutes ces questions et nous demandons qu’une véritable discussion de mon interpellation permette de conclure à une enquête sérieuse car il ne suffit pas, comme l’ont écrit certains journaux, de dire que cette manifestation était d’origine communiste ; il ne suffit pas de dire que l’abbé Pierre, que M. Monod et moi-même sommes des crypto-communistes. Ce n’est pas une réponse aux morts.

Nous voulons savoir quels sont les coupables, si haut placés soient-ils, parce que, pour l’honneur du pays, il ne faut pas que cette tragique affaire soit « enterrée » clandestinement, comme vous voudriez sans doute que soient enterrés les premiers morts du 14 juillet. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

M. le président. La parole est à M. Cogniot. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

M. Georges Cogniot. Mesdames, messieurs, rarement l’Assemblée s’est trouvée devant une responsabilité morale et politique plus grave que celle sur laquelle j’attire son attention au nom du groupe communiste en lui demandant d’ordonner d’urgence la discussion de l’interpellation que j’ai déposée.

On l’a déjà dit : sept morts, des centaines de blessés, dont des dizaines dans un état très menaçant, tel est le tragique bilan de la fusillade ouverte par la police sur le pacifique cortège du 14 juillet à Paris.

Comme l’exposait M. d’Astier, c’est au moment où le groupe des travailleurs algériens inclus dans le cortège démocratique se disloquait, et cela au même endroit que les groupes précédents, qu’un peloton de policiers, sous les ordres d’un commissaire en uniforme, s’est lancé sur le cortège, faisant pleuvoir les coups de matraque.

Et, dès ce premier moment, bien qu’aucun des leurs ne fût encore blessé, les policiers se sont mis à tirer sur la foule.

Vous connaissez l’horrible résultat de ce qu’il faut bien appeler une provocation mûrement concertée.

Ce que cette provocation fait d’abord apparaître, c’est le fait que les défilés populaires, fussent-ils organisés dans l’ordre et la légalité, fussent-ils munis d’autorisations régulières, sont devenus insupportables aux milieux dirigeants, surtout quand ils ont lieu, comme le 14 juillet, en l’honneur de la liberté et de la démocratie. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Que l’on considère les mots d’ordre inscrits sur les banderoles, les cris et les chants des participants, les opinions si diverses des personnalités du comité d’organisation, tout le contenu du cortège de mardi après-midi était démocratique et antifasciste. Il s’agissait de la défense de la Constitution, de la libération des militants emprisonnés, du respect des immunités parlementaires et de rien d’autre. C’est précisément cette affirmation puissante de la démocratie qui a paru intolérable aux fabricateurs de complots. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Sur de nombreux bancs au centre, à droite et à l’extrême droite. Béria !

M. Roger de Saivre. Libérez Béria !

M. Georges Cogniot. … à la veille de la réunion de la chambre des mises en accusation, à la veille du débat souhaité par certains hommes sur les immunités parlementaires et, en tout cas, à la veille de la discussion de la révision de la Constitution dans un sens réactionnaire.

Le drapeau des libertés démocratiques, le drapeau du 14 juillet est en horreur aux hommes du Gouvernement et aux milieux dirigeants. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Mais il est encore un autre enseignement politique de la tragédie de mardi. Le matin, le Gouvernement s’était évertué à transformer la revue traditionnelle de façon à l’orienter vers l’exaltation du colonialisme, de l’impérialisme, de la guerre d’Indochine.

Ce sont des militaires de carrière qui ont été utilisés place de la Bastille, dès le début de l’après-midi, pour les premières provocations contre le cortège populaire, contre le défilé anti-impérialiste et anticolonialiste. Les mitraillettes de la police sont intervenues ensuite pour donner tout son sens raciste et colonialiste à la provocation.

M. Georges Gaillemin. Comme à Berlin !

M. Georges Cogniot. « Comme à Berlin ! »

Voyez ces beaux défenseurs des provocateurs fascistes, ces beaux défenseurs de la « chienne de Ravensbruck », d’Erna Dorn (Applaudissements à l’extrême gauche), qui ont pleuré sur le sang des chefs d’émeute nazis, mais qui se réjouissent du sang fraternellement mêlé des travailleurs algériens et des travailleurs français place de la Nation ! (Applaudissements à l’extrême gauche.)

En faisant ouvrir le feu sur les travailleurs algériens, les provocateurs se sont attaqués à ce qu’ils cru être le point le plus faible du front de la démocratie.

Pour justifier leur politique de guerre aux colonies, ils ont cru possible de faire revivre à Paris des préjugés racistes et colonialistes.

On s’est essayé à séparer les travailleurs dits « européens » de leurs frères africains.

On a calomnié les Algériens. On a parlé de leurs commandos, en reprenant d’ailleurs un mot d’abord lancé contre des grévistes français par certain ministre socialiste.

Il ne s’agit pas de commandos, il s’agit du droit démocratique de manifestation pacifique qui appartient aux Algériens comme aux autres. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Ce droit, les travailleurs français le défendront pour les Algériens et pour eux-mêmes, et les Algériens savent bien qu’ils ne peuvent défiler en France que dans des cortèges organisés par les démocrates, parmi lesquels se trouvent les communistes. (Applaudissements à l’extrême gauche. — Interruptions à droite.)

Vous vous trompez, messieurs les ministres, si vous croyez le moment venu de vous comporter à l’égard des travailleurs algériens en France comme vous le faites à l’égard des peuples coloniaux dans leurs pays. Vous vous trompez si vous croyez avoir découvert un point faible.

Ils payeront leur erreur, ceux qui ont négligé de calculer les inévitables répercussions de la fusillade de la place de la Nation, aussi bien à Paris et en France que dans les pauvres faubourgs des villes musulmanes et dans les campements les plus reculés. (Applaudissements à l’extrême gauche. — Exclamations à droite à l’extrême droite.)

À la suite de vos actes, nul doute, messieurs les ministres, que les peuples coloniaux verront plus clairement encore le fossé qui vous sépare du peuple de France et, bien loin de le confondre avec vous, ils s’uniront à lui pour assurer la défense commune de la liberté. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Par dessus tout, messieurs les ministres, craignez vos propres actes.

Le sang versé en commun montre que la solidarité se forge dans la souffrance et dans la lutte et c’est vous, les impérialistes, qui la forgez.

Les Français savent que la défense de leurs propres libertés démocratiques est inséparable de la solidarité et de l’amitié avec les travailleurs des pays coloniaux établis en France et avec les peuples coloniaux dans leur ensemble.

Tous les ouvriers, communistes, socialistes et autres, et tous les démocrates, incroyants et chrétiens, s’uniront pour imposer le châtiment des responsables, de tous les responsables, du massacre et pour mettre un terme aux crimes de ceux qui piétinent, avec la liberté, les véritables intérêts nationaux. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

M. le président. La parole est à M. Fayet. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

M. Pierre Fayet. Mesdames, messieurs, M. Emmanuel d’Astier a dit d’une façon précise et véridique comment se sont déroulés, le 14 juillet, les événements tragiques de la place de la