— Trente mille répéta Mme Reine ; voilà une belle dévotion !
— Ce n’est pas trop pour la gloire de Monseigneur saint Michel archange ! dit le chapelain dom Sidoine.
— Ce ne serait pas assez s’ils venaient pour le saint archange repartit Fier-à-Bras : mais, sur trente mille pèlerins, il y a bien vingt milliers de taupins, égyptiens, zingares, baladins et autres, sans compter les chrétiens comme le chevalier comte Otto Béringhem, qui est venu, lui aussi, de bien loin, et non point pour le grand saint Michel.
— Mais le roi Louis onzième… insista encore Mme Reine.
— Eh bien ! c’est justement l’Homme de Fer qui doit jeter pour lui le maléfice. Personne n’ignore que le comte Otto est initié aux sorts napolitains et versé dans les mystères de la magie noire. Les enfants qu’il enlève et qu’on ne revoit plus, servent à ses terribles pratiques. M. de Coëtquen, mon seigneur, m’a conté comme quoi on avait mis à mort jadis le maréchal Gilles de Laval, baron de Raiz, pour les enfants, jeunes garçons et jeunes filles qu’il avait poignardés dans son château de Tiffauges. Le Malin hurla pendant quinze nuits dans les forêts de Pousauges et de Château-Morand, pleurant son fils, décapité par le glaive… Si on coupe la tête du noble comte Otto, vous verrez que le Malin hurlera pendant un mois !
— Et, demanda Jeannin qui écoutait tout cela fort attentivement, pourquoi le roi Louis onzième veut-il jeter un maléfice à notre seigneur le duc ?
— Voilà ! fit l’Araignoire avec emphase ; voilà ce que bien des clercs et même bien des gentilshommes ne sauraient pas vous dire. Mais moi, quand je voyage, cela profite à mon instruction. Ne vous impatientez pas, noble dame.
Le nain venait de surprendre un vif mouvement d’impatience échappé à la digne et grave Mme Reine. Mais il se faisait trop d’honneur en se l’attribuant on ne songeait point à lui. Madame Reine avait intercepté un regard que messire Aubry lançait à certaine adresse ; elle avait vu en outre deux larmes qui roulaient sur la joue de Jeannine. La jeune fille