Page:A la plus belle.djvu/79

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Et pourtant Pierre Gillot n’était pas le premier venu. Mais nous aurons à vous reparler de lui.

À cette question du bon frère convers « Depuis quand les valets de barbier confèrent-ils le noble ordre de la chevalerie ? » Pierre Gillot baissa les yeux et frotta du revers de sa manche une tache qu’il avait à ses chausses.

Avez-vous vu les chats lisser leurs poils quand va tomber la pluie ?

Frère Bruno le regardait en homme qui vient de frapper un grand coup.

— Eh ! eh ! mon digne frère, murmura Gillot tout doucement, vous devez être un peu clerc, puisque vous portez le froc depuis longtemps. Voici une anecdote que vous avec pu lire dans l’historien Trogue Pompée, abrégé par Justin : Philippe, roi de Macédoine, père d’Alexandre le Grand avait un ministre qui avait une femme, qui avait un cousin, qui avait un joueur de flûte, qui avait un chien. Le chien devait avoir un philosophe, mais l’histoire garde le silence a cet égard. Un Illyrien, qui s’appelait Philopator ou Philométor, suivant qu’il avait empoisonné son père ou sa mère, eut la fantaisie de gouverner une ville de Cappadoce… À qui pensez-vous qu’il s’adressa ?

— Au roi ? répondit frère Bruno.

— Non pas.

— Au ministre ?

— Du tout

— À la dame ?

— Point.

— Au cousin alors ?

— Pas davantage.

— J’entends, il alla au joueur de flûte.

— Vous n’y êtes pas encore, mon frère il alla au chien, après s’être muni d’un bon morceau de viande qu’il lui offrit avec respect. Le joueur de flûte était fou de son chien, le cousin écoutait le joueur de flûte, la dame avait confiance dans le cousin, le ministre aimait la dame, le roi détestait le ministre : l’Illyrien, de fil en aiguille, eut son gouvernement.