Page:A la plus belle.djvu/91

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Il se frappa le front en homme qui accouche d’une idée. Saint Archange s’écria-t-il, pourquoi ne les baptiserais-je pas moi-même ? Voyons j’appellerai le ministre Corentin, la ministresse Mme Ursule ; le cousin Bertrand ; le joueur de musette Jean-Pierre, et le chien Médor… Certainement, les Macédoniens, hommes et bêtes, n’avaient pas de plus beaux noms que cela !

Le soleil brûlait la pelouse maigre de la plate-forme du Roz. Les bestiaux ruminaient à l’étable, aucune figure ne se montrait aux fenêtres fermées du manoir.

Mais il faisait frais sous les grands arbres, dont les bouquets s’étageaient sur la rampe nord-est de la montagne, et descendaient en masses ondulantes jusqu’aux premiers chaumes du marais. La forêt était déserte. À peine saisissait-on dans le lointain les notes perdues de quelque complainte bretonne, laissant tomber lentement la mélodie de ses innombrables couplets.

— Messire, disait une voix bien douce sous la feuillée, et la douce voix tremblait ; messire, je vous parle aujourd’hui pour la dernière fois. Hier, je ne croyais point mal faire en devisant avec le compagnon de mes jeux…

— Eh bien ! Jeannine, qu’y a-t-il de changé depuis hier ?

— Messire, votre mère, la noble dame de Kergariou, ma maîtresse chérie et respectée, m’a fait voir ce matin que je me trompais.

Il y avait deux énormes châtaigniers dont les troncs jumeaux se reliaient par un banc de mousse. Jeannine était assise sur le banc. Messire Aubry se tenait debout devait elle.

C’étaient deux enfants, Aubry plus enfant que Jeannine. Ils étaient beaux et bons. Jeannine disait vrai, la pauvre fille. Hier, elle ne prenait pas même souci d’interroger son cœur. N’avait-elle pas été élevée avec Aubry ? Qui donc eût-elle aimé, sinon lui, son compagnon d’enfance, son frère, son seigneur ? Mais, depuis hier, elle avait appris bien des choses. Elle avait appris qu’Aubry était le fiancé de sa noble cousine, Berthe de