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Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/180

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économique intenses. Une Mme de Manteyer montre que, à maintes reprises, et bien plus souvent sans doute que ne le montrent les document que nous conservons, les femmes tinrent au manoir la place de l’homme. À travers les énumérations un peu sèches du livre de raison, Mme de Manteyer apparaît comme une femme de tête et d’énergie, modèle de la ménagère diligente.

Mais d’autres physionomies plus originales et moins sympathiques apparaissent : la dame de Peyrusel Jeanne de Lacomsbe poursuit, avec une avidité tenace, le recouvrement des dettes de ses malheureux tenanciers et prive les pauvres laboureurs de leur humble mobilier : leur lit, leur coffre et de leurs pauvres ustensiles de fonte ou de fer[1].

La dame de Saint-Martin est propriétaire d’assez vastes domaines dans l’Angoumois ; elle exerce rigoureusement les droits de suzeraineté sur ses vassaux et vassales et entend ne se laisser déposséder d’aucune de ses prérogatives.

Comme quelques-unes sont tombées en désuétude et que les droits des seigneurs suzerains et des vassaux ne sont plus toujours nettement délimités, elle ne peut obtenir cet exercice plein et entier de ses droits que par des procès. Et, pendant de longues années, nous la voyons, vraie comtesse de Pimbêche, plaider sans arrêt ; elle plaide contre sa fille et son gendre, au sujet des droits de vente ; elle plaide une seconde fois contre eux, au sujet du partage de la succession de son mari. Elle plaide contre Mme de Bouex, pour l’obliger à se départir à son profit de ses droits de chasse et de pêche et à lui prêter hommage pour sa seigneurie ; elle plaide contre les autorités provinciales pour la défense de ses droits sur la forêt d’Horte et à propos des travaux qu’elle veut faire exécuter sur le Bandiat ; elle défend âprement ses droits contre les agents du roi eux-mêmes lorsqu’elle juge que, pour l’impôt du vingtième, par exemple, elle a été trop lourdement taxée[2]. De ces perpétuels procès elle sort le plus souvent victorieuse, les recommençant d’ailleurs avec une inlassable persévérance jusqu’à ce qu’enfin elle ait obtenu gain de cause. Par ces procès, par ces démêlés familiaux, par les travaux nombreux qu’elle fait exécuter sur ses terres, sa vie apparaît comme singulièrement remplie. Et elle semble, au xviiie siècle, une châtelaine féodale, rude orgueilleuse et combative qui, à d’autres époques, eût conduit ses troupes à l’armée et rançonné ses vassaux.

  1. Arch. Départ., Dordogne, B. 1400.
  2. Arch. Départ., Charente, E. 88.