Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

femmes vivaient « dans la misère et les larmes » [1]. N’a-t-il pas fallu à celles-là, et particulièrement à cette Marie Durand qui y fut enfermée à l’âge de quinze ans et passa trente-sept ans dans la geôle, un courage surhumain pour ne pas acheter d’une abjuration le retour à la lumière ! Et ne sont-elles pas parmi les plus hauts exemples de ce que peut l’énergie féminine soutenue par la foi ?

Nombreuses sont celles aussi qui, ne pouvant vivre en paix en France, passent les frontières et s’empressent d’aller vers la Suisse, l’Angleterre, la Hollande ; nombreuses celles qui donnent asile aux pasteurs du désert ; nombreuses celles qui, allant trouver à leur lit de mort les nouvelles converties, les ramènent à la religion des ancêtres[2].

Quelques-unes, plus hardies, vont, comme la demoiselle Canonge, femme d’un monnayeur de Montpellier, jusqu’à prendre part à des complots avec l’Angleterre, « pour le rétablissement de la religion réformée en France » [3] ; ou comme cette Allemande de la confession d’Augbourg, à « remettre au roi un placet où elle lui expose que, dans l’embarras qu’il a de rétablir la paix entre le pape, les évêques, le deuxième Ordre et le peuple, l’expédient le plus simple est de se faire protestant » [4].

Celles des protestantes qui ont l’occasion de faire preuve d’héroïsme ou de se signaler à l’attention des fidèles par leur constance dans les épreuves ou quelque action d’éclat, sont d’ailleurs, en somme, extrêmement rares et leur renommée en est d’autant grandie. Dans sa prison, puis après sa délivrance, Marie Durand en correspondance avec les plus notables pasteurs, connue des fidèles de Suisse et de Hollande, gratifiée d’une pension par les communautés hollandaises, fut l’objet d’une vénération universelle[5]. Mais plus intéressantes peut-être que ces augustes exceptions et plus significatifs pour l’histoire de l’Église protestante de France sont les centaines de milliers des femmes qui, malgré les rigueurs toujours suspendues sur leur tête, malgré un simulacre d’apostasie à elles imposé (puisque jusqu’en 1787 il n’y a plus officiellement en France de protestants, mais simplement des nouveaux convertis et nouvelles converties), continuent cependant avec une fermeté et

  1. Relation du chevalier de Boufflers, cité par Coquerel.
  2. Arch. Départ., Hérault, C. 189. — Coquerel, loc. cit. — Funck Brentano. Loc. cit.
  3. Arch. Départ., Hérault, C. 189.
  4. Coquerel. Loc. cit.
  5. D’Argenson. Loc. cit.