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INTRODUCTION.

les autres. Tous les Français n’ont pas des sommiers élastiques et des draps en toile de Hollande ; mais on compterait ceux qui, la nuit venue, n’ont pas un lit tel quel où reposer leurs membres. Quand nous voulons exprimer l’idée d’un coucher misérable, nous parlons d’un grabat malpropre et dur, sans songer que ce grabat serait l’idéal du confort pour ceux qui dorment nus sur la terre nue.

Que faut-il conclure de là ? Que la vie la plus simple et la plus élémentaire est encore quelque chose d’horriblement compliqué. La moindre chose, celle qui vous coûte le moins parce qu’elle surabonde en pays civilisé, est le prix d’efforts incalculables. Le naufragé dont nous parlions tout à l’heure userait ses bras jusqu’au coude avant d’extraire et de tailler un de ces grès cubiques sur lesquels vous marchez en disant : Dieu ! que ma rue est mal pavée !

Je suppose que le naufragé, après une première journée d’exploration et de labeur, exténué, mal repu de fruits et de racines sauvages, s’étend sous un abri de branches qu’il a cassées, sur un lit d’herbes sèches, piquantes et tranchantes, qu’il a lui-même arrachées brin à brin. Il s’endort, si tant est qu’un homme civilisé puisse goûter un vrai sommeil au milieu de dangers innombrables