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L’ÉMIGRATION.

dirigent vers la France à petites journées : tous les chemins en sont encombrés ; c’est un défilé pitoyable. J’entends encore les lamentations de ces braves gens si tranquilles, si passionnément sédentaires de père en fils, et qu’un ukase du roi Guillaume a jetés brutalement dans la vie nomade.

D’autres, craignant les embarras et les dépenses d’un déménagement lointain, se défont de tout à vil prix. Un seul officier ministériel de Colmar a fait trente ventes en un jour ; les mobiliers se donnent. Une bibliothèque, je dis une chambre pleine de livres, s’est adjugée à 180 francs, dans cette ville studieuse de Colmar. Les amateurs de belles choses à bon marché ont de vraies occasions là-bas ; personne n’en profite ; on se ferait scrupule : tout reste aux mains des juifs. J’entends dire qu’eux-mêmes commencent à se lasser, car acheter toujours, même à vil prix, sans revendre, ce n’est que la moitié du commerce.

Il y aura des terres en friche l’année prochaine et des boutiques fermées. On ne trouve plus d’apprentis, presque plus d’ouvriers pour le travail des champs ou de la ville, plus de commis de magasin, plus de clercs de notaire. L’homme à qui j’ai loué pour rien notre petit domaine de Saverne me promena partout dès le matin de mon arrivée, en me faisant admirer les carottes qui remplissaient nos corbeilles et les oignons qui