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ACTE DEUXIÈME.

LE BARON.

D’amitié, non, mais d’amour. L’amitié est chose banale, partageable[1], indifférente. C’est un pâle soleil qui luit pour tout le monde. L’amour, Gaëtana, est le lien étroit d’une seule et d’un seul. C’est une passion exclusive, entière, jalouse. Si vous étiez une femme, et non pas un enfant, au lieu de me reprocher la surveillance ombrageuse dont je vous entoure (car je vous ai toujours surveillée), vous en seriez fière. Il n’y a pas une femme dans Naples, il n’y en a pas une dans l’univers qui puisse se flatter d’être aimée comme vous ! « Je vous ai choisie entre mille. Toutes les mères seraient tombées à mes genoux si elles avaient pu, au prix de cette bassesse, obtenir ma main pour leurs filles. Je vous apporte non-seulement la fortune amassée par une vie de travail, mais une jeunesse accumulée depuis longtemps comme le trésor d’un avare. C’est une somme incalculable d’amour ; tout un cœur qui s’est gardé pour vous, capital et intérêts. » On vous a dit que j’étais un vieillard ; mais qu’est-ce que les années ? Des almanachs qui s’écroulent l’un sur l’autre. Les cheveux blancs ? Une neige qui tombe sur la forêt, mais qui n’a jamais éteint la sève ardente des grands chênes. Je suis cent fois plus jeune que les damoiseaux de trente ans qui font la roue autour de vous, car ils ont fini la vie, et je la commence ; ils ont bu la satiété au fond de la coupe, et j’ai soif ! (Doucement.) M’avez-vous compris, Gaëtana ?

GAËTANA.

Je ne sais pas ; je crois ; je comprends que vous m’aimez bien fort, et que je dois vous aimer aussi.

LE BARON.

« Comprenez-vous que vous devez tout me dire et m’ouvrir votre cœur comme je vous ouvre le mien ?

GAËTANA.

« Oui, monsieur. »

  1. Les jeunes spectateurs du parterre se sont imaginé, bien à tort, que j’insultais à l’amitié. Peut-être aurais-je dû leur apprendre, par l’organe du régisseur, que l’auteur n’est pas solidaire de tous ses personnages. La naïveté publique est si grande en 1862 !