heureuse de m’avoir ! » Elle se persuada naïvement qu’elle était bien heureuse d’avoir Mme Benoît. Elle se crut, de bonne foi, niaise et incapable ; et au lieu de s’en désoler, elle satisfit tous ses goûts, s’abandonna à tous ses penchants, fut heureuse, aimée et charmante.
Mme Benoît était si pressée de jouir de la vie et du faubourg, qu’elle aurait marié sa fille à quinze ans si elle l’avait pu. Mais à quinze ans Lucile n’était encore qu’une petite fille. L’âge ingrat se prolongea pour elle au delà des limites ordinaires. Il est à remarquer que les enfants des villages sont moins précoces que ceux des villes : c’est sans doute par la même raison qui fait que les fleurs des champs retardent sur celles des jardins. À seize ans, Lucile commença à prendre figure. Elle était encore un peu maigre, un peu rouge, un peu gauche ; mais sa gaucherie, sa maigreur et ses bras rouges n’étaient pas des épouvantails à effaroucher l’amour. Elle ressemblait à ces chastes statues que les sculpteurs allemands du moyen âge taillaient dans la pierre des cathédrales ; mais aucun fanatique de l’art grec n’eût dédaigné de jouer auprès d’elle le rôle de Pygmalion.
Sa mère lui dit un beau matin, en fermant cinq ou six malles : « Je vais à Paris, chercher un marquis que vous épouserez.
— Oui, maman, » répondit-elle sans objection. Elle savait depuis des années qu’elle devait épouser un marquis. Un seul souci la préoccupait, sans qu’elle