Page:About - Rome contemporaine.djvu/127

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La joute dura une heure et demie, et je regrettai de n’avoir ni plume ni crayon pour vous sténographier quelques vers. Les applaudissements de l’auditoire étaient la récompense des vainqueurs ; les sifflets et les huées punissaient le vaincu, dès que sa langue commençait à s’embarrasser. Le cordonnier de la guerre de Troie garda l’avantage assez longtemps, mais il fut battu à plate couture par un tanneur du quartier de la Regola.

Tout paraissait fini, et le tanneur remettait déjà sa veste pour aller dormir sur ses lauriers, quand une femme se leva d’une table voisine et se plaça devant lui, les poings sur la hanche. C’était sans mentir une créature magnifique, large, haute et belle, telle à peu près qu’on se représente les louves du temps des rois. J’ai su qu’elle était blanchisseuse, et son mari souffleur de verre.

« Vous n’y entendez rien, dit-elle, et c’est moi qui vous battrai tous. Toi, prends ta mandoline. » Elle partit de l’origine du monde et s’avança d’un pas ferme à travers l’histoire des dieux. La gaillarde possédait sa mythologie comme Hésiode lui-même. Bientôt elle entra de plain-pied dans la guerre de Troie, sauva Énée de l’incendie, l’amena au pays des Latins, rossa Turnus et tous les autres, sauta d’un bond à la naissance de Romulus, chassa les rois avec Lucrèce, conduisit les armées de la république à la conquête du monde, débrouilla le chaos des guerres civiles, applaudit Cicéron, tua César aux pieds de la statue de Pompée, mit Auguste sur le trône, renversa les empereurs les uns sur les autres comme des capucins de cartes, et finit par une invocation directe à la madone qui lui souriait derrière une lampe, avec un enfant dans les bras.