Page:About - Rome contemporaine.djvu/128

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Elle allait droit devant elle, se reprenant quelquefois, ne s’arrêtant jamais, remplaçant un mot par un autre, recommençant la tirade applaudie et la corrigeant sans y penser. Ses yeux brillaient comme ceux d’une pythonisse ; sa voix tremblait de plaisir ; son geste simple et un peu trop régulier scandait le vers et appuyait sur la phrase. Elle fut applaudie comme on sait applaudir ici. Ni le cordonnier ni le tanneur n’entreprirent de lui répondre, et elle retourna toute rouge auprès de son homme qui avait tenu l’enfant pendant ce temps-là.

Je me livrais au plaisir de battre des mains, comme à une première représentation, lorsque je m’aperçus que le meunier me gardait rancune. De quoi ? Je n’en sais rien, car je n’avais rien fait pour l’offenser. Peut-être ses voisins du cabaret avaient-ils plaisanté avec lui sur l’emprunt de ma carafe ; mais, dans tous les cas, s’il y avait eu une inconséquence commise, elle n’était pas de mon fait. Cependant il grommelait entre ses dents toutes sortes de réflexions malsonnantes sur les gens qui devraient rester chez eux et se mêler de leurs affaires. Moins je semblais prêter d’attention à ses propos, plus il élevait la voix ; il était homme à me traiter plus mal, si j’avais fait mine de tourner le dos. Je résolus donc de l’aborder de front, et il n’y avait pas grand courage à la chose. On sait, dans tous les pays du monde, que chien qui aboie ne mord pas. Je me levai brusquement, juste à l’instant où il venait de prononcer le mot de Français, et je me présentai devant sa table : « Est-ce à moi, lui dis-je, que tu en as ? »

Il demeura un instant interdit avant de me répondre :

« Mais non ; je n’en ai à personne. Tu t’es trompé. 

— Alors contre qui grognes-tu ?