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Page:About - Rome contemporaine.djvu/329

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Il parlait de cette époque sanglante avec la plus belle tranquillité du monde, sans remords, sans orgueil, sans passion, sans rancune ; traitant de même les gendarmes et les brigands, le crime et la loi ; comme celui qui voit jouer une partie d’échecs regarde les blancs et les noirs, ou comme Machiavel regarde la lutte du bien et du mal. Ses compagnons l’écoutaient avec la même impartialité italienne.

Je voulus savoir s’il ne regrettait pas ses récréations d’autrefois. « Tu es bouvier, lui dis-je, et tu gagnes peu. Tu manges du pain de maïs, tu ne bois pas du vin tous les dimanches. Ne regrettes-tu pas quelquefois le temps où tu n’avais qu’à prendre ?

— En effet, répondit-il, j’ai eu de bons moments, mais j’en ai traversé aussi de bien mauvais. Nous n’étions pas toujours les maîtres, et quelquefois, au lieu de poursuivre, on fuyait. Du reste, il n’y a pas à choisir, puisque le brigandage n’est plus de mode. »

La conversation en était là, quand je m’avisai que mes nouveaux amis auraient eu bon marché de moi s’ils avaient cultivé le pittoresque comme leurs pères. Je développai cette idée devant eux ; afin de savoir encore mieux ce qu’ils pensaient. « Mes bonnes gens, leur dis-je, si vous étiez comme les anciens de Sonnino, il y a longtemps que vous auriez fouillé dans mes poches. Vous êtes dix contre moi, à un bon mille du village. Vous devez supposer qu’un étranger qui vient jusque chez vous a quelques écus dans sa bourse. Vous voyez que je suis sans armes, et il n’y en a pas un parmi vous qui n’ait, outre son bâton, un couteau bien aiguisé. Si je criais, mes cris ne seraient pas entendus. Si je portais plainte, il me serait