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père était un digne paysan, mais prudentissime pour son malheur et pour le nôtre. Il possédait, sous la Terreur, douze mille francs en or et six enfants. L’occasion se présenta d’acquérir le château du village et un domaine qui vaut un million. Mon grand-père n’était pas si fou ! Il garda son argent par prudence, et lorsqu’il mourut, en 1845, on retrouva douze mille francs dans son bahut. Moi-même, qui ne suis pas plus économe qu’un autre, j’ai rencontré ces jours derniers dans une boutique de Rome le poignard de Trivulce, une pièce authentique du plus haut intérêt. La gaine en os, longue d’un demi-mètre, porte le nom du possesseur, son portrait, le portrait de Louis XII, et le portrait d’une femme inconnue que je n’ai pas encore rencontrée dans l’histoire. Cette belle arme était à vendre pour 150 francs ; elle vaut quatre fois davantage ; je l’ai laissé emporter par un brocanteur de Paris. Que voulez-vous ? J’ai attendu, j’ai fait comme mon grand-père ; avec cette différence que les 150 francs ne se retrouveront pas dans ma succession.

Personne ne songerait à faire des économies, si l’on était bien pénétré de cette vérité incontestable : l’or et l’argent baissent imperceptiblement tous les jours, tandis que l’art et le travail de l’homme augmentent de prix. Les sept louis et demi que j’ai bêtement gardés dans mon tiroir valent déjà quelque chose de moins que la semaine passée ; et le poignard de Trivulce dans quatre ou cinq cents ans vaudra dix fois son pesant d’or.

Si l’économie est absurde chez les particuliers, elle est presque coupable chez ceux qui gouvernent. La richesse et la grandeur d’un pays ne proviennent pas de l’argent mis de côté par les souverains, mais de celui qu’ils ont