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bation, comme de l’unique base de son être ; le moindre détour dans notre manière de penser peut l’anéantir et la faire dégénérer totalement. Elle est alors d’une nature essentiellement subjective, suspendue continuellement au cordon ombilical de notre volonté intérieure. Or, à mesure que, se formulant dans les mots et passant dans une quantité plus grande de cerveaux, elle se socialise, elle acquiert un caractère de plus en plus objectif, se délivre de plus en plus de ces liens psychiques au milieu desquels elle reste dans les consciences individuelles, passe d’une continuelle variabilité à une forme constante ; le cordon ombilical de la volonté individuelle, qui jusqu’à présent lui transmettait l’unique souffle de l’existence, se rompt, et l’idée commence la vie indépendante de phénomène social, purifiée des variabilités de ses existences privées, consolidée, affermie, cristallisée dans un certain mot d’ordre de lutte sociale, dans une loi, usage, parti politique ou institution. Moins elle est socialisée, et moins elle exerce de pression objective sur les individus, et plus elle se soucie de leurs égards, de l’adaptation à leur vie intérieure, au contenu de leur âme ; c’est dans cette phase que se trouvent aujourd’hui les idées esthétiques, qui, de tous les phénomènes psychiques socialisés, manifestent d’une manière peut-être la plus faible leur caractère objectif, coercitif, de choses qui s’imposent malgré la volonté, d’accord avec le degré de leur socialisation, car, ni dans l’opinion publique, ni dans les codes de lois ou dans les courants collectifs, elles ne trouvent pour elles de place bien précise. Dans la même phase se trouvait le christianisme primitif des apôtres, aussi bien que chaque idée révolutionnaire à ses débuts, jusqu’à ce qu’elle s’organise dans une Église ou parti et embrasse de grandes foules ; le phénomène psychique simple et le phénomène socialisé ne sont pas encore discernés l’un de l’autre d’une manière assez précise ; l’individualité des adeptes a encore une grande importance pour la vie de l’idée. Par contre, au plus haut degré de la socialisation, le caractère coercitif de l’idée est tellement puissant, qu’elle peut avec une force élémentaire, opprimer les individus qui n’en admettent pas l’existence dans leur for intérieur, qu’elle peut s’opposer à la liberté individuelle de l’homme, comme si c’était une autre nature morale, qui l’entourerait de tous côtés d’une pression fatale de coercivité ; c’est ce qui a lieu, par exemple, pour certaines idées morales, celles-là particulièrement, qui se rapportent à la propriété, à la famille, aux rapports sexuels, et qui sont parvenues à se socialiser sous beaucoup de formes, dans la religion, les codes juridiques,