Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/112

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Je fais la part du bonheur : elle est grande, à coup sûr ; non pas dès ses débuts ; ils furent ingrats, vous l’avez dit ; mais, du jour où la fortune lui accorda son premier sourire, elle le plaça, j’en conviens, dans d’admirables circonstances pour développer son talent. Ai-je besoin de rappeler ces fécondes années de réveil littéraire ? Quel public et quel temps ! quel aiguillon pour l’auteur dramatique ! Avec ces cœurs qu’on sentait battre, avec ces esprits en travail, pleins d’illusions, pleins d’espérances, intelligents et polis, sa tâche était à moitié faite. Plus un peuple prend au sérieux ses affaires et ses destinées, plus on peut aisément l’amuser. D’un côté, c’étaient l’histoire et la poésie qui semblaient naître à nouveau ; de l’autre, le vaudeville, se réveillant aussi et montant d’un étage, devenait comédie : un nouveau genre était créé. Il y a là, comme vous l’avez dit, quelques années incomparables pour M. Scribe et pour le monde parisien. Chose étrange ! les passions politique » étaient alors ardentes : dans certaines familles on ne se parlait plus ; dans les salons on se tournait le dos ; et, sur le terrain neutre d’un théâtre démocratique que protégeait un royal patronage, chacun croyant être chez soi, grâce aux deux noms que portait ce théâtre, on se surprenait à rire ensemble même de politique, sans distinction d’opinions. Il est vrai que l’amphitryon y prenait quelque peine. Que d’égards pour tous ses hôtes ! que de ménagements ! quelle touche légère ! comme il savait glorifier les vaincus sans trop chagriner les vainqueurs ! Car alors, au théâtre, les vaincus étaient glorifiés ! vous l’avez dit. Monsieur, c’était bien l’âge d’or !

Je le reconnais donc : pendant ce printemps de sa vie, il n’y eut pour M. Scribe que des jours sans nuages. Mais ce