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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/113

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même bonheur tout ie monde en pouvait user. Les circonstances étaient les mêmes pour quiconque avait du talent. D’où vient que tant de gens d’esprit, même habiles, nen ont pas profité comme lui ?

Ce n’est donc pas seulement son bonheur qui peut expliquer sa puissance. J’en dis autant de ces autres raisons que vous avez indiquées et si bien développées qu’elles semblent au premier abord résoudre le problème. Ainsi cette modération d’idées, de goûts, de sentiments, cette façon optimiste de comprendre la vie, cette verve d’esprit français, cette chaleur de patriotisme qui le mettaient sans effort dans la cordiale intimité et dans la confidence de son public, étaient-ce là des privilèges dont il fût seul en possession ? Manquons-nous jamais d’écrivains spirituels, d’un goût un peu bourgeois, capables de caresser, même avec convenance et mesure, les passions de leurs auditeurs ? Évidemment il faut à ces raisons, si bonnes et si vraies qu’elles soient, un complément ou plutôt une base ; il faut chercher, au fond de l’homme même, la vraie cause de ses succès.

Or il y avait chez Scribe une faculté puissante et vraiment supérieure qui lui assurait et qui m’explique cette suprématie sur le théâtre de son temps. C’était un don d’invention dramatique que personne avant lui peut-être n’avait ainsi possédé ; le don de découvrir à chaque pas, presque à propos de rien, des combinaisons théâtrales d’un effet neuf et saisissant, et de les découvrir, non pas en germe seulement ou à peine ébauchées, mais en relief, en action, et déjà sur la scène. Pendant le temps qu’il faut à ses confrères pour préparer un plan, il en achève plus de quatre ; et jamais il n’achète aux dépens de l’originalité cette fécondité prodi-