Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/114

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gieuse. Ce n’est pas dans un moule banal que ses fictions sont jetées. S’il a ses secrets, ses méthodes, jamais il ne s’en sert de la même façon. Pas un de ses ouvrages qui n’ait au moins son grain de nouveauté. Mais aussi c’est sa vie que de tisser des trames, d’ourdir des dénoûments et des péripéties. La nuit, le jour, en voyage, à la ville, à pied comme en voiture, silencieux ou causeur, devant les glaciers des Alpes comme au foyer de l’Opéra, il ne fait pas autre chose. Un géomètre aux prises avec un grand calcul, un général d’armée rêvant le plan d’une campagne, ne se livrent pas à un travail de tête plus obstiné, plus incessant. Tel était cet impérieux besoin de toujours inventer, et de glisser partout des fictions dramatiques, qu’il en introduisait jusque dans ses aumônes. On le vit pendant plusieurs années épuiser tous les stratagèmes, tous les ingénieux mensonges dont on use au théâtre, pour faire croire à de pauvres confrères qu’ils étaient ses collaborateurs et qu’ils vivaient du produit de leurs œuvres, lorsqu’en réalité c’était lui qui les nourrissait.

C’est presque du génie qu’une faculté dominante ainsi surexcitée. Le mot ici n’est pas trop fort : Scribe avait le génie de l’invention dramatique. Mais ce grand art du théâtre ne vit pas seulement de calculs, d’effets de scènes, d’agréables surprises, de solutions inattendues. Pour que son œuvre s’accomplisse, pour qu’elle ait chance de survivre, il faut de la chair sur ces muscles, de la couleur sur cette chair ; en d’autres termes, il faut du style, il faut des caractères.

Sur ces deux points, j’ai hâte de le dire, Scribe n’a jamais eu même la prétention d’être égal à lui-même. Quand même