Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment vous avez dû songer à celui qui n’avait pas dû songer à vous, et comment le Père Lacordaire a été amené à la porte de cette enceinte par des chemins qu’il n’avait pas choisis pour l’y conduire, et que personne, je pense, n’avait suivis avant lui.

Ses débuts pourtant furent ordinaires, et, à son entrée dans la vie, rien ne le distinguait de la foule de ses compagnons de jeunesse : rien dans l’histoire de son enfance, rien dans les tendances de son esprit. Né dans une condition moyenne, il avait reçu l’éducation commune. Il était le fils d’un médecin, l’héritier d’un patrimoine borné qu’il partageait avec trois frères, l’élève d’un lycée de l’État. Une mère chrétienne avait déposé dans son cœur quelques sentiments de piété, dont la préoccupation des études et l’éloignement du toit paternel avaient promptement effacé la trace. Il arrivait à Paris, à vingt ans, pour y faire son stage d’avocat, rêvant la réputation, comme un autre ; comme un autre, obligé de pourvoir d’abord à l’existence. Aux sources communes le jeune étudiant avait puisé les idées courantes. Il y a, parmi nous, à toute époque et sur tout sujet, un état régnant d’opinions qui forme autour de la jeunesse une atmosphère dont le vol le plus hardi met quelque temps à se dégager. Un étudiant, pris au hasard, arrivant de province en 1822, devait penser en philosophie comme Condillac, ou tout au plus comme Rousseau : à peine avait-il pu entendre un faible écho des nobles accents dont retentissait déjà la Sorbonne ressuscitée. En fait d’opinions sur le passé et sur l’histoire, il s’en tenait à l’Essai sur les mœurs, sauf quelques entraînements d’imagination à la suite du Génie du Christianisme : Chateaubriand comme poëte, mais Voltaire encore pour doc-