Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/129

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plus qu’à demander l’aliment de sa vie humaine à la liberté.

Au même moment, sous la même secousse électrique, la même idée jaillissait dans l’esprit d’un autre prêtre. Celui-là n’était inconnu ni de lui-même ni du monde. Depuis plus de dix ans, au contraire, il fixait sur lui tous les regards. L’abbé de Lamennais était, en 1830, le plus grand nom de l’Église de France, et il aspirait ouvertement à la dominer. En attendant, il la remplissait et l’agitait de sa renommée. Il exerçait sur elle le genre d’ascendant que subissent aisément au lendemain des grandes luttes les causes qui se sentent momentanément affaiblies. Il employait pour défendre l’Église les armes mêmes qu’elle avait appris à redouter chez ses adversaires. De tous les écrivains qui depuis 1789 avaient tenté contre l’incrédulité régnante un retour offensif, aucun n’était plus osé : pour mieux combattre la philosophie, il n’avait pas craint d’ébranler les fondements mêmes de la raison. Et cependant M. de Lamennais, par un contraste que je ne suis pas le premier à remarquer, était un esprit de la trempe et un écrivain de l’école du XVIIIe siècle. Par l’abus du raisonnement, joint au dédain de la raison commune, par une phrase tour à tour abstraite et colorée, par une précision de langage qui simulait la profondeur des idées, l’Essai sur l’indifférence en matière de religion avait plus d’une fois rappelé les Lettres écrites de la montagne ; et, en voyant à la porte de son camp ce champion armé à la fois de passion et de dialectique, l’Église de France s’était plu à se figurer qu’elle possédait dans son sein Rousseau lui-même, ressuscité et converti.

C’était bien lui, en effet, avec le plus funeste et peut-être aussi le plus puissant de ses dons, avec l’art et la volonté