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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/141

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sent le besoin, et qui se rencontre si rarement dans les pays déchirés par les troubles civils. Le plus grand mal des dissensions politiques, quand elles durent, c’est d’enrôler les générations dès l’enfance, dans des rangs différents, et de ne pas leur laisser, même un jour, cette communauté des premières affections qui est le nerf du patriotisme. Que les hommes se divisent dans l’âge mûr, c’est l’inévitable effet de la contrariété des intérêts et des divers mécomptes de l’expérience. Mais que ce travail de division devance celui de l’âge ; qu’il n’y ait pas, dans un grand pays, une idée, une foi, une institution, un drapeau autour duquel tous les fils d’un même sol puissent, dans l’entraînement de leurs vingt ans, se serrer pleins d’une ardeur fraternelle, c’est le mal tout gratuit et le châtiment des révolutions. C’était le malheur de la jeunesse à laquelle s’adressait le Père Lacordaire. Ils étaient là, laissez-moi dire, Messieurs, nous étions là, divisés dès l’enfance de préoccupations et d’habitudes : ceux-ci amenés à l’église par une foi héréditaire, ceux-là par un doute curieux : les uns ayant appris à lire dans les fastes des Croisades, les autres dans les bulletins de la république et de l’empire ; d’autres enfîn, les moins nombreux mais non les moins convaincus, dans la Charte et dans les premiers monuments de l’éloquence parlementaire. L’abbé Lacordaire avait des paroles pour chacun de nous, et, nous ramenant tous à un centre commun, nous donnait un instant lespérance ou l’illusion de l’unanimité. Tantôt, passant en revue dans un discours très-étranger aux habitudes de la chaire tout le passé de la France, il montrait depuis Clovis, à travers saint Louis et jusqu’à Napoléon, ses destinées toujours liées à celles de l’Église ; tantôt, dans l’oraison funèbre du libérateur de l’Irlande, il bénissait les