Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/147

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ces hôtels de ville, que les révolutions n’ont pas tous fait disparaître ? Approchez aujourd’hui de ces demeures qui réveillent une orageuse mais brillante diversité de souvenirs. Un seul héritier, au visage uniforme et sévère, en a pris possession. L’État y règne seul, sous l’une ou l’autre de ces deux formes favorites : un bureau ou une caserne. Des employés copient ou des bataillons manœuvrent là où il y avait des hommes qui sentaient et agissaient pour leur compte.

C’est l’image, ajoutait Lacordaire, de ce qui se passe, non pas seulement sur notre sol, mais dans nos mœurs et jusque dans le fond intime de nos pensées. Partout, à la faveur de la faiblesse et de l’isolement des individus, s’étend l’action envahissante de l’État, soumettant les cœurs en même temps que les actes et bientôt l’être moral tout entier. Car celui qui ne peut rien se lasse de vouloir, et, dégoûtées de se sentir si faibles devant un État si fort, les unités impuissantes finissent par demander au grand Tout de vivre et de penser pour elles. On prend l’habitude de tout laisser faire, puis de tout faire faire à l’État. Laissez s’avancer une société dans une telle voie. Hier elle demandait une industrie d’État pour répartir entre les hommes la production et le travail : aujourd’hui c’est une charité d’État pour dispenser le riche de la compassion et le pauvre de la gratitude ; demain ce sera, que sais-je ? une poésie ou une littérature officielle pour lui dicter les ordres du jour de l’enthousiasme. Encore, si, en renonçant ainsi à tout mouvement spontané, elle devait recevoir de la main de cet État qu’elle invoque la stabilité dans la soumission ! Mais il n’en est rien : Dieu, par une juste dispensation, a voulu que les pouvoirs sans