Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/160

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Aussi son œuvre a passé en d’autres mains plus heureuses, parce qu’elles ont été moins violentes. Et je sais bien, me disais-je encore, rêvant sur la vocation et sur la destinée de ces deux grands esprits, je sais bien pourquoi M. de Lamennais ne pouvait pas être le médiateur de l’alliance entre 89 et l’Église, c’est que par ses opinions, sinon par sa naissance, il n’était pas né du milieu d’entre nous ; c’est qu’il a commencé par nous maudire, quitte plus tard à transporter de l’autre côté sa malédiction, et que la colère des malédictions ne fonde rien ; c’est que la Révolution française a d’abord été pour M. de Lamennais une puissance qu’il anathématisait, pour devenir plus tard une armée irritée qu’il poussait au combat : tandis que pour le Père Lacordaire la révolution de 89 n’a jamais été qu’une société à évangéliser ; et cette société, il avait d’autant plus de zèle à la ramener doucement vers Dieu, que c’était sa société, sa famille, sa nation, qu’il était libéral comme elle, sachant seulement mieux qu’elle ce qu’était le libéralisme, parce qu’il l’apprenait chaque jour dans l’Évangile, patriote comme elle, glorieux de ses victoires, pleurant de ses défaites, saignant de ses blessures, toujours l’homme de notre temps, de notre condition, de notre esprit, doux surtout, doux parce qu’il aimait ces nouveaux gentils dont il s’était fait l’apôtre, doux non par mollesse, car il avait l’âme ferme, mais doux par charité : beati mites ! C’est par là qu’il lui a été donné de représenter à nos yeux l’idéal que nous nous faisions autrefois de M. de Lamennais, et d’être un des grands médiateurs que le siècle demande à la religion et à l’Église. Je dis, Monsieur, un des médiateurs, parce que l’œuvre de la nouvelle alliance est difficile, pénible, et qu’elle aura besoin de plu-