Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/257

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fendu de toutes ces passions : quand il a lutté, il l’a fait résolument, mais courtoisement, et sans employer des armes qui pussent faire des blessures incurables. Vaincu, il s’est résigné ; vainqueur, il s’est principalement occupé d’adoucir le sort des vaincus. Depuis son entrée au conseil d’État, quelques ardentes inimitiés l’ont poursuivi sans relâche ; il l’a su, s’en est affligé, mais n’a jamais eu l’idée de se venger. On peut dire de lui ce que Bossuet disait d’un autre chancelier de France qui peut-être le méritait moins : sa modération l’a toujours mis au-dessus de sa fortune.

Il a servi deux gouvernements dont l’esprit et les tendances étaient absolument contraires. Il a gardé vis-à-vis de l’un et de l’autre ce degré d’indépendance sans lequel il n’y a pour l’homme public ni dignité ni autorité. Il les a servis loyalement mais sans fanatisme ; ils lui ont accordé leur estime, sans beaucoup d’affection. Si jamais on a le récit détaillé de sa vie, on verra que, sous l’empire, il ne s’est prêté à aucun des actes violents et illégaux dont on aurait voulu le rendre complice, et que, sous la Restauration, il a toujours résisté aux passions aveugles qui obsédaient le chef de l’État et ont fini par le dominer.

On lui a reproché d’aimer le pouvoir, qu’il a su pourtant, quand il le fallait, quitter avec dignité. On ne citera pas une occasion où il l’ait accepté par des considérations vulgaires : mais il aimait ce noble et laborieux emploi de ses facultés ; il se plaisait à l’idée d’exercer quelque action sur les destinées de son pays.

La passion des affaires, l’indépendance et la modération ! De ces trois qualités quelle est celle qui vous semblera inutile, si vous voulez avoir un homme d’État achevé ?