Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/258

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La révolution de Février ne fît que hâter de quelques jours le moment de la retraite à laquelle le Chancelier était déjà résolu.

Après le bienfait d’une longue existence employée non sans éclat au service de son pays, Dieu voulut lui accorder une autre faveur : il lui permit de vivre encore quinze ans pour revenir par la pensée sur toutes les phases de sa carrière, observateur impartial de lui-même, jouissant du bien qu’il a pu faire, et se rappelant, avec le trouble qui agite la conscience d’un homme de bien, les torts qui se sont nécessairement glissés dans une existence si active.

Il a conservé jusqu’au dernier jour une force intellectuelle dont la vieillesse jouit rarement ; sa mémoire lui représentait avec une merveilleuse exactitude les temps où il avait vécu, les hommes qu’il avait connus ; mais, ce qui est presque sans exemple, elle lui rendait avec la même fidélité les événements les plus récents. Son intérêt ne s’attachait pas seulement aux circonstances politiques dans lesquelles il avait été mêlé. Celles même qu’il apprenait chaque jour occupaient son esprit, et excitaient quelquefois en lui une vivacité de sentiments que la jeunesse même n’éprouve pas toujours. Presque entièrement privé de la vue, il se faisait lire les feuilles périodiques ou les écrits nouveaux sur lesquels se portait l’attention publique ; mais, pendant cette lecture, il n’écoute pas mollement, pour bercer son esprit de récits ou d’idées qu’il aura oubliés le lendemain. Il ne contemple pas d’un esprit distrait ce monde récent que les conversations ou les lectures font passer devant lui. Il le regarde et le comprend. Quelquefois il l’approuve, il est ému de ce qu’il entend. Il lui est arrivé de se