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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/310

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ce dévouement devenu chez lui une habitude et un besoin. Je laisse parler les témoins mêmes de cet acte héroïque : « Il est sept heures du soir, lorsque Espagne apprend la nouvelle du naufrage. Il part aussitôt sans écouter les prières de toute sa famille qui le conjure de rester. Il arrive à neuf heures sur la plage au milieu d’une nuit épouvantable. L’intrépide capitaine des douanes Tripotat survient en même temps. Ces deux hommes décident qu’il faut tenter le sauvetage, car les naufragés périront immanquablement si l’on attend le jour. Ils se jettent tous deux à la mer, et, pendant près d’une demi-heure, ils luttent contre les flots sans pouvoir atteindre le câble que les naufragés s’efforcent de leur lancer. Espagne le saisit enfin, et les malheureux matelots peuvent ainsi gagner la terre guidés par le capitaine et le brigadier qui nagent autour du navire. Espagne tient un mousse et cherche à gagner avec lui le rivage, mais la lame les entraîne dans un tourbillon ; ils vont périr, lorsque le capitaine parvient à les ramener sur la grève. Cette scène, si terrible, mais en même temps si glorieuse pour le sieur Espagne et pour son intrépide chef, dure depuis neuf heures du soir jusqu’à minuit, les quatorze hommes formant l’équipage sont sauvés. »

Mais si c’est là, par le nombre des personnes arrachées à la mort, la plus heureuse et la plus éclatante des actions de Pierre Espagne, combien de fois avec moins de bonheur, mais avec une audace prodigieuse, n’a-t-il pas lutté contre la tempête pour lui disputer au moins une victime. Je ne le suivrai pas à travers tous les épisodes de cette vie dévouée, toujours semblables par les dangers courus dans la sublime et terrible monotonie des colères de l’Océan. Mais après