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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/311

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ces luttes contre l’élément furieux, quand je retrouve l’intrépide soldat, doux et soigneux comme une mère, se faisant sœur de charité et médecin des moribonds qu’il abrite dans sa retraite, je comprends que ces actes de témérité héroïque ne sont pas seulement le fruit d’un courage de tempérament, d’un entraînement passager, mais de cette humanité raisonnée, de cette charité opiniâtre qui cherchent la récidive et qui ne se lassent jamais. Pour ces occasions où le sauveteur devient garde-malade, M. Espagne entretient à ses frais une petite pharmacie. Le voilà qui vient de déposer sur la plage un mousse arraché des débris d’un navire dispersés par une mer affreuse. La face livide du jeune homme ne donne plus aucun signe de vie ; tous ceux qui l’ont vu affirment que c’est un cadavre ; Espagne seul consente de l’espoir. Pendant quatre heures il s’acharne à prodiguer des soins à cette victime de la tempête ; enfin, le jeune mousse ouvre les yeux et peut remercier son sauveur.

C’est ainsi que, plus d’une fois, après ce mâle courage qu’on s’étonne moins de trouver chez l’ancien soldat, Pierre Espagne a déployé cette patiente et douce charité que nous avons d’ordinaire à couronner chez des femmes et pour des traits pareils à ceux qui ont motivé les deux premières médailles de mille francs.

Marie Grohan et Anne Lahousse, qui les ont obtenues, une servante et une ouvrière, sont des types du genre de vertu qui nous est le plus souvent signalé.

Après trente-quatre ans de services chez la même maîtresse, Marie Grohan reçoit d’elle en héritage un neveu infirme et dans la misère avec deux jeunes enfants. Elle soigne le pauvre malade jusqu’à sa mort, nourrit les deux en-