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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/335

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plusieurs de ces saintes et nobles vies. Signalons d’abord un ancien domestique et deux servantes restés fidèles à leurs maîtres quand la fortune les abandonnait ; le premier, Jean-Jacques Boudet, d’Andrieu (Calvados), est octogénaire ; il sert depuis soixante ans la même famille, entièrement ruinée depuis longtemps ; et non-seulement il la sert sans gages, mais il a vendu le seul petit champ qui lui restait pour en consacrer le produit à soulager la misère de ses vieux maîtres. Les deux autres, Angélique Hautefeuille, de Boulogne-sur-Mer, et Louise Portier, de Chambéry, toutes deux sexagénaires, sont restées l’une quarante ans, et l’autre quarante-huit, chez des maîtres tombés dans la misère : Angélique sacrifie aux siens d’abord toutes ses économies, puis un petit héritage de 11,000 francs qui constituait tout son avoir ; Louise apprend que sa maîtresse, dont un voyage l’avait séparée, est revenue veuve et complètement ruinée dans son pays ; elle quitte aussitôt la place nouvelle et bien rétribuée qu’elle avait trouvée, retourne auprès de son ancienne patronne, la sert gratis et subvient à tous ses besoins par un travail opiniâtre, que les infirmités lui rendent chaque jour plus pénible.

Tout le monde sent que les suites inévitables de l’égalité politique et sociale font de la domesticité un des problèmes les plus obscurs et les plus compliqués de la société moderne ; et tout le monde nous félicitera d’avoir, non pas à la résoudre, mais à saluer, dans l’accomplissement désintéressé de ces ingrats et laborieux devoirs, une des formes les plus touchantes du dévouement chrétien.

La dernière nommée de ces domestiques modèles appartient à la Savoie, qui nous a donné trois autres de ses enfants