Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/343

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par un don, par un prêt fait à temps, l’homme qui chancelle entre l’industrie et la ruine. Mais je voudrais, en même temps, distribuer sou par sou, aux mendiants que je rencontre, un secours qui, peut-être, dans ce moment, les sauve d’une atroce souffrance. Je ne dirai point que je ne donne jamais aux enfants, jamais aux valides, jamais à ceux dont je connais le vice, car, peut-être, dans le moment où je refuse avec ma règle, la faim, qui n’a point de règle, est sur eux. » Ces touchantes paroles d’un économiste, peu suspect d’exagération religieuse, eussent été dignes du grand saint que je viens de nommer : elles expliquent et justifient, au besoin, le grand précepte de l’aumône. Cette charité privée, qui n’est pas seulement le grand devoir et la grande joie des chrétiens, qui est encore le boulevard et la meilleure garantie de l’ordre social, n’exclut, elle non plus, aucune lumière, aucun concours, aucune émulation prévoyante et libérale : suivant le précepte de l’Apôtre, elle ne se défie de personne, elle est patiente et bénigne ; elle ne connaît ni l’ambition ni la vanité, ni la jalousie[1]. Mais elle ne veut être ni confisquée, ni réglementée, ni même protégée. Elle n’a besoin que d’elle-même pour agir, pour produire, pour sauver : elle est bien loin toutefois de craindre le regard ou la main de l’autorité publique, au nom de laquelle certaines gens la dénoncent et la poursuivent. J’aime, d’ailleurs, à constater, après une étude attentive des dossiers qui nous arrivent de

  1. Charitas patiens est, benigna est… non æmulatur, non agit perperam, non inflatur, non est ambitiosa, non quærit quæ sua sunt, non irritatur, non cogitat malum (I Cor. 3.)