Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/35

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prit part, comme ministre, à ce double acte de sagesse et de force, et sans doute aujourd’hui, dans son tombeau, il n’y a rien qui donne à sa conscience un retour plus consolant vers les choses et les douleurs de ce monde.

Bientôt après, le 2 décembre 1851, M. de Tocqueville rentrait chez lui, dans son village, au terme d’une carrière politique qui avait duré douze ans. Il y rapportait un caractère sans tache, une renommée qui ne surpassait la gloire d’aucun de ses contemporains, mais en même temps un corps affaibli par le travail des affaires et par celui de la pensée. Il y retrouva ces souvenirs de jeunesse si chers à l’homme qui décline, ces ombrages qu’il avait plantés, ces eaux qu’il avait dirigées, le respect et l’amour de tout ce qui avait vieilli là pendant son absence, et, plus près de son cœur encore, une autre vie consacrée à la sienne et qui eût suffi sans la gloire à la récompense de tout ce qu’il avait fait de bien et de tout ce qu’il avait écrit de vrai. De ce côté aussi on peut dire qu’il avait été meilleur que son siècle. Tout jeune et peu riche, il n’avait point cherché dans sa compagne l’éclat du nom ni celui de la fortune ; mais, confiant sa destinée à des dons plus parfaits, il n’avait été trompé que dans la mesure de son bonheur, plus grand qu’il ne l’avait attendu et qu’on ne le lui avait promis.

Cependant cette belle retraite, où l’amitié venait de loin chercher sa présence, n’effaçait point dans l’âme du publiciste le souvenir de la cause qu’il avait servie. Les blessures faites à la liberté, quoiqu’il les eût prévues, l’avaient pénétré comme un glaive, et il portait au dedans de lui, sous une cicatrice saignante, le deuil profond de tout ce qu’il avait vu s’accomplir. Il voulut se donner une consolation, chercher