Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/415

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en tout. Elle aime toutes les formes du travail et du talent, et elle se plaît à les signaler.

C’est ainsi qu’elle décerne aujourd’hui le Prix fondé par feu M. Bordin pour Tencouragement de la haute littérature. Un grand travail terminé, une œuvre de système et de patience, mais d’une patience parfois créatrice, a fixé le choix de l’Académie. C’est la traduction en vers du Paradis de Dante par M. Ratisbonne. L’Académie a pensé que l’achèvement d’une entreprise dont le début avait été déjà récompensé par son suffrage, mériterait une distinction publique. Elle a vu ce qui devait manquer au succès d’un tel effort. L’époque de Dante, le caractère extraordinaire de son génie, l’aspect d’antiquité, indigène, il est vrai, qu’il a même pour ses lecteurs nationaux d’aujourd’hui, semblaient rendre souvent impossible la renaissance de sa poésie dans des vers français calqués maintenant sur les siens. Combien la diction et le rhythme de notre langue n’auraient-ils pas à souffrir d’une telle contrainte ! Que de fois notre vers se briserait-il sous le poids de la pensée du poète ! Que de fois la fidélité littérale paraîtrait inculte et prosaïque ! Souvent aussi cette poésie originale, rendue dans sa rudesse, ne le serait pas dans sa naïveté, et ne semblerait plus que bizarre. Il n’est pas un de ces reproches que l’interprète nouveau de Dante ne puisse encourir dans quelque partie de son ouvrage : et cependant il a osé avec talent, et s’est inspiré de sa persévérance, égalant parfois dans ses rimes françaises l’harmonie des tercets italiens, et donnant çà et là, par quelque vers fort et simple, comme l’empreinte du poëte original. Sa traduction en vers est alors bien autrement fidèle que la prose française n’avait tenté de l’être dans les